11/06/19 – Ingénieries(s) de la transition : performance, décision, processus

Prochaine séance de l’atelier
“Habiter la transition. Des pratiques existantes aux politiques de transition : circulations et ambiguïtés”

Atelier thématique commun aux réseaux ACDD et ReHaL
En partenariat avec le Master “Habitat et ville durable – Pour une approche critique de la fabrique urbaine”
(École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris – La Villette)

Amphi 5

Programme et plan d’accès PDF

Coordinateurs de la séance : Gilles Debizet[1] et Guillaume Lacroix[2]

Dans le domaine de la fabrication de la ville et l’aménagement des territoires, le développement durable est apparu aux acteurs professionnels comme un « nouveau paradigme de la conception urbanistique, architecturale et constructive » (Biau et Tapie, 2009, p. 175), qui impose une éthique de l’intérêt général et des principes (transversalité, intégration, intérêt général) à traduire dans les pratiques professionnelles. La première opérationnalisation de la ville durable dans les années 1990-2000, marquée par des postures hétérogènes et critiques des professionnels de la conception (Grudet, 2012),  a maintenu les ambiguïtés et contradictions originelles du développement durable (Theys et Emelianoff, 2001). D’un côté, la notion est partiellement normalisée, d’abord réduite à des dispositifs technico-normatifs puis à un système performantiel, par exemple au traitement des problématiques environnementales à l’échelle du bâti ; de l’autre, elle entretient un horizon idéal de singularité des contextes locaux, notamment d’articulation des intérêts, rationalités et savoirs de chaque territoire (RAMAU, Debizet et Godier, 2015). Le travail de traduction, de diffusion et de légitimation opéré par l’ingénierie concourt à l’appropriation de la durabilité. La singularisation des contextes pourrait constituer une stratégie qui vise à démultiplier la demande d’ingénierie tout en limitant les résistances à la normalisation performantielle.

En première approche, l’ingénierie renvoie à des acteurs spécialisés dans le secteur de la construction (cabinets d’ingénieurs-conseils, bureaux d’études techniques, sociétés d’ingénierie). Ces acteurs sont historiquement marqués par une rationalité technico-économique et gestionnaire (Tapie, 2001) qui reflète l’esprit d’ingénieur fondé sur la « pensée calculatoire et l’éthique économique » (Vatin, 2008).  Le repositionnement de ces acteurs dans de nouvelles fonctions et espaces de la fabrication urbaine contemporaine suggère que leur rationalité se serait diffusée au gré des collaborations avec les élus et services techniques, les partenaires (financeurs, concepteurs, consultants …), et avec l’évolution des mots d’ordre (performance, innovation, compétitivité, etc.). On peut ainsi redéfinir l’ingénierie de façon plus ouverte et extensive, en l’identifiant d’abord à certains acteurs caractérisés par cette rationalité dans la sphère publique (services techniques de collectivités, d’aménageurs, etc), ensuite à des dispositifs sociotechniques qui incarnent cette rationalité dans l’action interprofessionnelle par son attention au processus (outils d’aide à la décision, dispositifs participatifs, modalités de financement, etc). Dans la fabrique professionnelle de la ville, l’esprit de l’ingénierie transite via des ingénieries plurielles, hybrides, instables et en concurrence permanente pour se légitimer.

L’apparition de la transition comme extension, renouvellement ou remplacement du développement durable peut être interrogée sous l’angle de l’opérationnalisation menées ou subies par les ingénieries. Premièrement, la notion de transition nous alerte quant à l’existence de changements majeurs à venir, dû initialement à la question énergétique, mais dont les effets systémiques pourraient être dévastateurs pour l’ensemble de nos sociétés. Elle est à l’origine de la diffusion accélérée du discours sur l’urgence à réagir, qui a pris forme avec le GIEC sur les questions climatiques, avec la création du concept d’Anthropocène, ou encore avec l’émergence de la collapsologie. Deuxièmement, la notion de transition tente d’incarner les voies possibles pour affronter et surmonter ces changements à venir, d’où l’importance de notions comme celle de “résilience” et la focalisation accrue sur les enjeux de biodiversité et de circularité. Troisièmement, la notion renonce à qualifier l’horizon, elle souligne une transformation, un processus inévitablement incertain car le dessein n’est lui-même pas défini.

Cette réévaluation des enjeux transforme-t-elle la façon dont les ingénieries se représentent et opérationnalisent la notion de transition, par rapport à celle de développement durable ? La transition dépasse-t-elle l’apparent paradoxe normalisation performantielle / singularisation contextuelle que creusait l’opérationnalisation de la durabilité ? Pourquoi l’ingénierie ouvre-t-elle de nouveaux champs, alors même que son champ d’excellence, notamment sur les questions d’efficacité énergétique des infra et superstructures, est loin d’être traité et épuisé ? L’essor supposé de l’ingénierie processuelle s’opère-t-il au détriment de l’ingénierie performantielle ou en est-il au contraire le fer de lance trans-professionnel ?

Deux séries de questions entremêlées peuvent alors être précisées :

·       Renouvellement et permanence de l’esprit de l’ingénierie par la transition

Quels rôles tiennent les ingénieries dans l’émergence d’une forme ou d’une autre de la transition, et dans quelles situations (pratiques, dispositifs, rhétoriques) cela se manifeste-t-il ? Les rationalités historiques de l’ingénierie sont-elles renforcées ou affaiblies dans l’opérationnalisation actuelle de la transition ? Quels cadrages de la transition conduisent l’ingénierie à renouveler ses ressources cognitives, expertises, rhétoriques publiques et territoires d’intervention ? Comment et quelles appropriations de la transition sont négociées avec les autres acteurs de la fabrique urbaine, qui mobilisent d’autres rationalités) ?

·       Transformation ou maintien des ambiguïtés de la durabilité avec la transition

En quoi les appropriations (inter)professionnelle de l’ingénierie transforment-elles les contours de la notion de transition ? Les luttes d’influence et éventuels renouvellements des rationalités de l’ingénierie ont-ils pour effet de redéfinir la notion vers un pôle davantage normalisé ou singularisé ? Les collaborations interprofessionnelles et la confrontation avec les rationalités des autres acteurs aboutissent-elles à maintenir l’appropriation holistique, transversale, propre à l’émergence de solutions singulières ?

Programme de la journée

Matinée (9h30 – 12h30) :

Introduction de Gilles Debizet et Guillaume Lacroix

  • Guy Tapie[3]: «Fabrication de la ville “en transition”, reconfiguration des professions et des dispositifs d’action »
  • Rémy Petitimbert[4]: « La compensation écologique : l’ingénierie environnementale comme modalité de conciliation »

Après-midi (14h00 – 17h) :

  • Morgane Colombert[5] : « “Mieux” planifier, concevoir, gérer : quand la transition énergétique et climatique modifie les conditions d’exercice des acteurs de l’aménagement »
  • Aurélie Landon[6]: « Innovation sociale et transition : Discours et instrumentation d’une ingénierie en émergence »

 

 



[1]Maître de Conférences en urbanisme et aménagement, HDR, UMR PACTE, Univ. Grenoble Alpes

[2]Docteur en Études urbaines, UMR LAVUE 7218 / AUS-ALTER

[3]Professeur de sociologie à l’École nationale d’architecture et de paysage de Bordeaux (ensapBx) et au laboratoire PAVE (Profession Architecture Ville Environnement)

[4] Doctorant en science politique (CERAPS / UMR 8026). Attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université de Lille

[5] Professeur assistant, chef du département énergie et climat à l’École des Ingénieurs de la Ville de Paris, Lab’Urba EA 3482

[6]Doctorante en contrat CIFRE (UMR LAVUE 7218 / CRH), architecte diplômée de l’ENSA Paris-La-Villette

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